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La vie des intégrateurs, chapitre IV : Les specs ? Quels specs ?

Par Eric Le Bihan

“Specs” ou spécifications fonctionnelles, vous connaissez ? Vraiment ? Bon, si vous expliquez votre métier d’intégrateur, il y a bien un moment ou vous aller en parler. Vous travaillez en général à partir d’une maquette graphique et d’un brief qui va lister et expliciter en détail les fonctionnalités de l’interface que vous allez construire. Si tout va bien, vous avez discuté des wireframes avec le chef de projet qui a organisé une réunion de kick-off avec les intervenants qui vont constituer l’équipe du projet ; en règle général : un chef de projet, un directeur artistique, un ou plusieurs webdesigners, un ou plusieurs développeurs back, un ou plusieurs intégrateurs (ou développeurs front), pourquoi pas un ergonome, etc. (la liste n’est pas limitative, mais on travaille mieux lorsque l’équipe est réduite, question de communication). Vous avez également pu faire valoir votre expertise – le domaine d’intervention de chacun est connu de tous, vous vous êtes vu plusieurs fois avec les webdesigners qui créeront les maquettes en intégrant vos contraintes : utilisation d’une grille, utilisation de css3 tout en prenant en compte les principes d’amélioration progressive ou de dégradation gracieuse, vous avez pu parler d’accessibilité, etc.

La vie est belle non ? Elle s’appelle comment cette boite ?

Elle n’existe pas ! Méthode agile ou méthode agile ? Attention le lien n’est pas le même…

Après quelques années d’expériences et de nombreux clients ou de nombreux patrons plus tard, vous ne vous faites plus guère d’illusion. Oubliez les specs et réunions inutiles, après l’intégration, le debug. Je me permets au passage de citer webagency fail : [commercial] — Pour le cahier des charges c’est facile, c’est la même chose qu’Amazon. (via @cobolian).

Mais bon, on va pas faire de ces quelques cas une généralité, rassurez-moi, c’est pas partout comme ça ? si ?

Ok plus sérieusement, c’est quoi l’organisation idéale vue par un intégrateur et quelles étapes devraient être respectées dans le déroulement d’un projet ?

1. Réunion de kick-off et identification des ressources

Le chef de projet explique son objectif, répartit les tâches et présente le planning. Les intervenants corrigent ce qui leur semble important. A l’issue de la réunion, tout le monde est censé être calé sur le qui fait quoi, quand et comment. La réunion de kick off permet de créer la cohésion d’une équipe, susciter la motivation autour du projet et faire adhérer tous les participants aux objectifs à atteindre. Les points de blocages sont identifiés, les moyens à mettre en œuvre sont connus. Ensemble l’équipe va pouvoir formaliser un plan d’action réaliste.

2. Conception et wireframes

Voilà le décor est posé, on connait les acteurs, il nous reste plus qu’à commencer. Première étape, la phase de conception. Le chef de projet qui a longuement réfléchi à son projet qui a échangé avec les différents intervenants en amont (marketing, commercial, SEO, etc.) va commencer à apporter la première pierre à l’édifice. Il va poser ses idées sur le papier, faire ses découpages et collages pour imaginer les différentes pages de son projet. Il peut également utiliser des logiciels tels que Powerpoint ou Axure qui vont lui permettre de faire des interfaces sommaires et quelque fois fonctionnelles. Voilà c’est fait, il ne lui reste plus qu’à présenter son travail aux webdesigners et pourquoi pas, soyons fous, aux intégrateurs et autres développeurs qui ne manqueront pas de faire des propositions avant-gardistes comme utiliser html5 et css3 , mais je m’égare… C’est le moment où on se rend compte qu’on va un peu trop loin, que ça, ça et ça, ce n’est pas possible ou ça va prendre trop de temps ou ça va grèver les performances d’affichage, bref on affine. On fait des points courts mais efficaces, un quart d’heure suffit à chaque fois.

3. Création graphique et mise en couleur

C’est la phase de créa pure, les graphistes vont, et quelque fois c’est tout simplement magique, transformer les zones rectangulaires et froides des croquis ou wireframes en quelques chose de coloré, vivant et on l’espère terriblement novateur. Alors oui quelque fois, nous les rabats-joie, les intégrateurs, on émet des doutes sur la faisabilité, sur le poids des images, sur tout un tas de détails qui viennent contraindre leur travail, mais tout travail artistique ne connait-il pas des contraintes, hein ? Allez, on parle des grilles, grilles de 960 ? on est d’accord ? 15px de margin ? 10 ? Hum, faut voir… Bref la discussion n’est pas terminée et là encore quelques réunions et de nombreux points à aborder, on parle interface, ergonomie, accessibilité, performance, css3, font-face, il reste plus qu’à convaincre du bien fondé de tous ces choix qui vont nous permettre de construire un site moderne et actuel digne de ce nom. Il ne reste plus qu’à faire valider la créa par le client.

4. Validation du client

Alors souvent le client n’y entend rien à ce qui fait le cœur de notre métier et ne comprendra pas grand chose aux choix que nous auront fait, bref la plupart du temps 50% de notre travail sera pour lui invisible. Il insistera même quelque fois pour imposer ses choix désastreux, mais bon, c’est le client. Quelque fois le client est vraiment cool et a toute confiance en nous, après tout il s’adresse à des pros, non ? Ils savent ce qu’ils font ces gars-là ! Bon n’essayez pas de le convaincre que htm5 c’est mieux que xhtml, que là on va plutôt faire du javascript que du flash, qu’il vaut mieux faire du hover que du onclick, tout ça c’est du jargon pour lui. Il va falloir travailler la communication, les mecs ! Enfin à moins d’avoir à faire à un chieur de première, le client conscient de la valeur de votre travail, demandera quelques adaptations qui ne sont pas forcément dénuées de sens et qui permettront à tous de dire : on a fait du bon travail ensemble ! Le chef de projet se fait le porte parole de toute l’équipe, il maîtrise les fondamentaux et comprends les choix des différents intervenant. Au passage il n’est pas interdit de se faire accompagner d’un technicien qui pourra pousser plus loin la démonstration technique. Dernière chose : s’assurer que la validation du client est une vraie validation ou alors attention aux débordements…

5. Laissez les intégrateurs faire leur travail…

Voilà la phase la plus intéressante, magique et décisive pour le succès d’un projet. Bon on a tendance à se dire ça en tant qu’intégrateur, mais en fait, on découpe juste les maquettes des webdesigners, on suit les specs (quels specs ?) des chefs de projet et on prépare le travail des développeurs back qui souvent appellent notre travail, qui pourtant est un travail abouti puisque c’est ce résultat qui sera mise en ligne : les “maquettes” html. Pendant toute cette phase, on va s’acharner à convertir les maquettes graphiques en pages web qui ressembleront au plus près à ce qui a été imaginé et designé. En général, tout va bien et on est content avant de voir le premier résultat dans les navigateurs IE6 et IE7, mais arrêtons de tirer sur l’ambulance, depuis le temps on commence à maîtriser les faiblesses de ces versions… Je reviendrais plus en détail ultérieurement sur l’organisation d’une équipe d’intégrateurs et comment mettre en place des méthodes de travail efficaces, ça mérite bien un autre article.

6. On va débugger tout ça maintenant

Une fois les images découpées, les intégrations finies, les fichiers html, css et javascript livrés, on pourrait croire le projet fini, qu’on peut aller se boire une petite bière bien méritée au bistro du coin, après tout les développeurs back n’ont plus qu’à greffer leur php sur notre interface html et bien pas du tout ! Même le plus parfait des intégrateurs (mais personne n’est réellement parfait, n’est-ce pas ?) ne pourrait échapper à cette phase de test. Maintenant votre intégration est mise à l’épreuve et de nombreuses corrections sont nécessaires; c’est à ce moment là qu’on se rend compte de choses comme au choix : on a oublié la page contact ou on n’a pas prévu la cas où le client paie avec une certaine carte de crédit ou en allemand, ça dépasse, etc. etc. Les exemples ne manquent pas et pour certains projets ça peut durer des semaines et des semaines. C’est pas encore qu’on sable le champagne…

Mais dîtes voir, ça aurait pas été mieux avec des specs ?

Allez quelques ressources à lire et des conseils à méditer :

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24 commentaires

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On va dire que je prêche pour ma paroisse mais sur les gros projets où j’ai travaillé en assistance de maîtrise d’ouvrage, c’est le rédacteur et l’ergonome qui travaillait seuls au début pour sortir le story board (sans design mais avec le contenu principal… Celui-ci réalisé, la fonctionnelle était confié au développeur, et les écrans au designer.

Pour les petits ou les grands projets c’est toujours comme ça que je bosse : un site Web c’est avant tout affaire de marketing et de communication. La technique, c’est après.

Le 11 Oct. 2010 à 09h20 par Philippe @ créations sites internet normandie

Encore un excellent article. Je plussoie.

À un détail près, de vocabulaire : en toute logique, l’étape « 2. Conception et wireframes » revient au « concepteur web » (feu webdesigner), plutôt qu’au chef de projet.

Petit ou grand projet, travail d’équipe ou presta solo, je ne me passe pas de spec et refuse d’intervenir sans au moins une maquette fonctionnelle commentée. Marre de la bidouille.

Le 11 Oct. 2010 à 12h28 par tetue

Encore un excellent article, et l’on se reconnait volontiers a quelques détails près. Il manque juste des liens vers les précédents chapitres de cette passionnante saga ( que j’aurais appelé vis ma vie d’intégrateur) ;)

Le 11 Oct. 2010 à 13h17 par Nicolas G

Excellent article résumant tout à fait la place de l’intégrateur dans un projet.

Dans l’agence où je suis intégrateur, j’ai la chance d’être consulté dès la phase de création des maquettes ergonomiques et il m’arrive même de faire les wireframes (j’ai de bonnes bases en ergo web).

Ayant un pied dans la partie conception, la phase de production devient beaucoup plus simple à aborder.

Le 11 Oct. 2010 à 14h43 par Kaelig

Malheureusement pour moi je viens de vivre 1 expérience similaire à cet article, pas de specs, juste des maquettes psd.
Donc pour moi les demandes hors du devis sont facturables, ce que n’admet pas le client.
« bah oui après tout il fallai que tu ailles voir ce que fait facebook… »

Au final 1 client qui ne veut pas payer car en plus il ne comprend pas que l’on puisse avoir des différences de rendu entre les navigateurs.
Et son chef de projet qui lui explique que les commentaires conditionnels pour ie6/7 sont du bricolage et qu’il connait 1 intégrateur qui sait rendre 1 site identique sur tous les navigateurs sans codes spécifiques.

Au final, évaluez bien votre client avant de vous engager.

Le 11 Oct. 2010 à 14h54 par Gilles

@Gilles : Attends, c’est déjà pas mal d’avoir les maquettes ! ;-)

J’ai déjà eu le problème inverse : des specs, mais pas de maquettes. Évidemment, je ne partais pas de zéro, il s’agissait d’une déclinaison d’identité existante, mais les clients ont parfois du mal à comprendre que même pour placer un bouton, même pour styler un titre, il n’est pas sérieux de se passer d’un graphiste. Au final, il était très déçu de la qualité graphique. Moi aussi, c’est d’ailleurs pour ça que je n’en ai pas fait mon métier !

Le 11 Oct. 2010 à 15h10 par Pierre Bertet

@eric autant pour moi je n’avais pas vu… je me méfie de ce type de plugins qui ne ressortent pas toujours les résultats souhaités du coup j’ai pris l’habitude de ne plus les regarder ;)

Le 11 Oct. 2010 à 15h49 par Nicolas G

[…] La vie des intégrateurs, chapitre IV : Les specs ? Quels specs ? — Eric le Bihan nous parle avec humour du processus et des différents intervenants impliqués dans la création d’un site web : «réunion de kick-off et identification des ressources», «conception et wireframes», «création graphique et mise en couleur», «validation du client», «laissez les intégrateurs faire leur travail…», «on va débugger tout ça maintenant». Lecture complémentaire : Bien démarrer son projet avec le kick-off meeting. […]

Le 12 Oct. 2010 à 09h59 par Le petit journal du web : HTML5, CSS3, jQuery, WordPress, Métiers du Web, Vie quotidienne et Nostalgeek

Encore un très chouette article !
Par contre je me permettrais de nuancer la partie « 3. Création graphique et mise en couleur » : beaucoup de designers exècrent être pris pour des coloristes qui doivent remplir l’IA avec application et sans dépasser les bords, et pour cause : la direction artistique implique d’intervenir bien plus en amont, en phase de conception, d’avoir eu en main le brief créatif et d’y répondre de façon intelligente, c’est-à-dire d’interroger le but final du site et son ergonomie générale. C’est la raison pour laquelle les créas se battent moins souvent avec les intés qu’avec les ergonomes qui font leur zoning sans les consulter ou carrément les directeurs de projet qui ont déjà vendu leur IA « 3 colonnes carrousel » avant de consulter quiconque en interne…

On sort un peu de « la vie des intégrateurs », mais ça me semblait intéressant de le préciser =)

Le 12 Oct. 2010 à 11h25 par STPo

Oui, STPo. C’est à mes yeux le principal problème de la chaîne web : ce défaut de conception, étape si incroyablement si déconsidérée qu’on n’y affecte celui qui traîne dans le coin, le chef de projet plutôt qu’un concepteur (ou designer, lequel n’est plus qu’un graphiste qui fait de l’habillage), et ce sont les dev (front et back) qui en pâtissent en bout de chaine. C’est marcher sur la tête.

Le 12 Oct. 2010 à 11h35 par tetue

Très bon article qui reflète parfaitement bien la réalité du métier en agence !

Je file lire les précédents articles tout de suite :)

Le 12 Oct. 2010 à 11h45 par Sébastien

Super article, très complet !
Je ne connaissais pas le terme wireframes, je vais le sortir à mon boss la prochaine fois ;)

Le 12 Oct. 2010 à 13h59 par Fred

J’ai lu le titre du point 3, et j’ai commandé un lance-flamme sur ebay, je le reçois demain, juste le temps de me roder pour paris web.

En gros STPo a tout dit mais BORDEL c’est quand même tenace chez les techos quoi. Le DA il est là pour colorier. Il peut aussi décider si on met des bords arrondis ou pas, et la taille des images. Si il modifie un bloc déjà on ne sait plus trop si c’ets dans ses prérogatives.

SÉRIEUX QUOI, À L’AIDE !!

On dirait qu’on tombe dans la caricature inverse !!

Tout en amony il y a le DA et le CR, c’ets pas pour rien, c’est qu’on ne sait même pas si il faut faire un site et comment.

Le 12 Oct. 2010 à 14h21 par Julien

T’inquiètes ils sont au courant, mais j’ai menacé de faire péter les charges de C4 que j’ai dans le slip à la conf de bienvenue à la moindre tentative de restriction ;)

Je reconnais que je me suis emballé (et puis quun à surenchéri sur le lance flamme, finalement je viendrais avec un zippo) Et effectivement dans ton article tu parles en général, mais comme c’est un peu le mouvement actuel de parler coloriage, mon sang n’a fait qu’un tour, surtout avec l’expression « mise en couleur »

L’incident est clos, pardon, les familles touça.

Le 12 Oct. 2010 à 14h55 par Julien

Très bon article. Je reconnais là dedans ma boite…
Et la palme revient quand même à la maquette initiale et celle modifiée et son rendu finale ! L’avant – après est épique !

Le 13 Oct. 2010 à 09h12 par Elcolonel

Ah les specs quel beau sujet à discussion ! Comment se passer d’un tel document ? Quand j’entends « désolé j’ai pas eu le temps de faire des specs mais bon si tu as une question je suis là » ca me chafouine grandement. Parce que le temps pour rédiger une spec sera toujours inférieur aux aller-retour incessants entre le chef de projet et les différents intervenants. Et au-delà de la perte de temps il faut également ajouter la frustration de l’intégrateur ou du dev de modifier X fois une fonctionnalité parce que forcement comme il y a pas de specs c’est la fête.

Bref les specs c’est parfois chiant à rédiger et indigeste à lire mais c’est vraiment nécessaire.

Le 14 Oct. 2010 à 12h49 par Olivier

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